Carnet de voyage au Liban – Visite de jumelage au Liban 14-25 mars 2022

Lundi 14 mars

Je voyage aux Liban pour rendre visite à notre paroisse jumelle Mar Doumit de Borj Hammoud. Particulièrement éprouvée par la situation politique, économique, sanitaire… J’emporte avec moi 5700€ cash dans le cadre de notre jumelage Meyzieu – Mar Doumit / jumelage Lyon – Antelias, vieux de 1997 pour les JMJ de Paris. J’ai aussi porté 22 kg de médicaments pour un prêtre de Batroun, jumelé avec la paroisse de saint Chamond et aussi un sac de médicaments pour la maman d’un ancien paroissien de Sénart qui habite Baskinta sur les pentes du mont Liban. Je retrouve l’atmosphère orientale, pleine de bazar, de crasse dans la rue, de vie bruyante et trépidante, de chaleur humaine rayonnante que j’apprécie tant. Mais les Libanais sont éprouvés et l’avouent spontanément et simplement. Abouna Tony, son épouse Soozy et leurs 4 enfants Marana, Maryline, Pierre et Clara me le disent tous. Déjeuner typique. Pas de viande ni de fromage. Carême oblige, économie aussi. C’est trop cher. 1€=25000 livres libanaises. Le salaire moyen frise à peine les 30€. Petite église Mar Doumit, un soldat romain converti puis moine, bien entretenue, sono et vidéo pour les chants dernier cri comme chez tous les orientaux que j’ai visités. Bonne sieste puis visite à pied du quartier avec Abouna Tony. Circulation chaotique, foule, klaxonne, crasse et poubelle dans la rue, devantures de coiffeurs, garagistes, réparateurs d’électronique, fruits et légumes, églises et mosquées, éclairage publique absent. L’Orient quoi. L’Etat ne fournit qu’une à deux heures d’électricité par jour… des générateurs privés se louent au prix fort…

Visite avec Soozy de 2 petits vieux qui vivent dans un réduit insalubre. Pas de famille, pas de retraite, ils vivent ou plutôt survivent de la vente de plastique qu’ils récupèrent ici et là. Déjà Abouna Tony avait rédigé un reçu pour une somme donnée à un pauvre homme qui avait besoin de médicaments, la paroisse est son seul secours, alors même qu’il est orthodoxe. En face de l’église, l’école du Sacré Cœur, école subventionnée par le diocèse pour scolariser les plus pauvres. Au détour du chemin, visite des petits frères de Jésus, du bienheureux Charles de Foucault, 4 frères français ici depuis les années 70, ils ont maintenant la nationalité libanaise. Belle rencontre. Je les questionne sur l’avenir du Liban. Ils osent et à peine le dire, mais il est désespérément noir… Exil de beaucoup de forces vives, faillite complète de l’Etat aux prises avec le clientélisme de l’Iran, des États-Unis, du conflit israélo-palestinien, etc… Le niveau d’éducation s’effondre, gage de problèmes plus graves à venir.

Rencontre du groupe des catéchumènes : 17 musulmans bientôt chrétiens. Magnifique ! Abouna Tony, comme tous les prêtres orientaux que j’ai rencontrés, n’a aucune confiance en la capacité des musulmans à construire la paix respectueuse de chacun, en particulier des chrétiens. Les petits frères de Jésus avaient beau essayer de s’en persuader, ils n’étaient pas dupes non plus, mais persévérants dans la bienveillance. Puis rencontre de la chorale paroissiale. Je croise Abouna Pierre Samaha qui étaient venu avec un groupe de 8 jeunes paroissiens en septembre 2019. On dîne tous ensemble.

Mardi 15

Messe à 7h. Je concélèbre, il y a une petite trentaine de paroissiens. Il a pas mal plu cette nuit et le tonnerre gronde encore au petit matin. Il fait plutôt froid.

Marana et Soozy m’emmènent visiter le centre-ville de Beyrouth et le lieu de l’explosion au port. Occasion de discuter encore de la crise qui appauvrit tout le monde ; les politiciens ont volé le pays tout entier. Le centre-ville a été soufflé par l’explosion. Beaucoup de stigmates encore. Mais surtout la crise politique et ses conséquences font que le centre-ville de Beyrouth a été littéralement déserté. C’est vide ! L’hypercentre autour de la vieille cathédrale orthodoxe saint Georges est bouclé par l’armée qui en garde l’accès pour protéger les instances politiques. Dans les rues il n’y a personne. Plus aucune devanture de magasin non plus. Les enseignes des magasins de luxe sont éteintes, le rideau est tiré… Trop cher pour y habiter. Tout est déserté et vide. Nous poussons jusqu’à Raouché, le quartier des hôtels à touristes et sa belle vue sur la baie de Beyrouth. Vide aussi quasiment. Ancien territoire musulman pendant la longue guerre civile, Soozy et Marana n’y vont presque jamais. Les stigmates de la guerre marquent encore quelques vieux immeubles criblés d’impacts de balles, ils marquent encore plus les esprits.

De retour à la paroisse – cette escapade est un beau cadeau tant le carburant est hors de prix au vu des salaires qui n’ont pas augmenté, le plein équivaut à la moitié d’un salaire moyen – nous retrouvons soeur Rémy, des sœurs de la charité de Besançon, avec qui je vais visiter des pauvres du quartier. Fraternelle déambulation où elle m’explique leur mission au milieu des pauvres depuis les années 70. Borj Hammoud est sans doute le quartier le plus pauvres de Beyrouth. Mais désormais la pauvreté s’est considérablement accrue. Il y a en effet des airs de Calcutta ici. Miséreux qui ramassent les déchets pour revendre le plastique, personnes seules qui habitent des réduits non-éclairés, non-chauffés, à la merci d’un moindre souci de santé, familles de la classe moyenne clouées à leur appartement parce que tout déplacement est trop cher. L’école et l’université n’ouvrent pas aujourd’hui au prétexte qu’il fait trop froid, mais de toute manière beaucoup de professeurs n’y viennent plus, leur salaire ne paie même pas leur frais de déplacement…

Et pourtant, tout de même de l’unité et de la joie chaleureuse dans les salutations, de l’hospitalité généreuse comme un beau reste d’humanité et de foi chrétienne. Déjeuner chez les sœurs avec Abouna Tony. Belle joie fraternelle toute méditerranéenne. J’aime. Le soir, rencontre d’un groupe de jeunes de la paroisse avec qui nous préparons des colis pour les pauvres, qu’ils sont eux-mêmes. Je retrouve quelques-uns des délégations venues à Meyzieu.

Puis Abouna Tony et Soozy m’emmènent à Harissa voir Notre Dame du Liban. Pause falafel sur la route, excellent. Là-bas, beau sanctuaire marial du Liban, nous prions en action de grâce pour le jumelage et spécialement pour les paroissiens de MJJP de qui j’ai apporté une belle aumône. Elle servira à financer l’installation de panneaux solaires sur le toit de l’église pour assurer leur autonomie en électricité. Aujourd’hui par exemple il n’y a eu qu’une heure à peine de courant de l’Etat et à peine davantage des moteurs payants.

Mercredi 16

Messe avec Abouna Francis qui me prête son appartement contigu à l’église. La messe maronite est belle. Ça ressemble au rite syriaque, son origine, que j’ai connu en Irak. Paroles de la consécration en araméen, long offertoire et longue action de grâce qui contemple le mystère de l’eucharistie. Soozy m’emmène avec le voisin Naïm visiter le monastère de Mar Charbel puis Biblos, la plus vieille ville du monde. Là-haut il y a de la neige ! C’est très beau. Mar Charbel est comme le Padre Pio en Italie, sujet d’une immense piété populaire et nationale. Je prie sur son tombeau. À Biblos-Jbail- nous déambulons dans cette belle cité de bord de mer marquée par les croisés. Impressionnant de passer de la neige à la mer en 20 minutes. Nous toquons à la porte de l’imposant monastère de l’Ordre Libanais Maronite et Abouna Michel nous fait visiter la massive église saint Jean Marc, typiquement croisée d’architecture. Elle a servi d’étable au temps des ottomans, que les 200 moines de l’époque ont courageusement chassés en 1760. Nous rencontrons Abouna Charbel, que j’avais au téléphone l’avant-veille, c’est lui mon contact pour passer quelques jours de retraite à saint Antoine de Khozaya. Vive la Providence. Belle conversation avec Naïm, divorcé de sa femme française, journaliste reporter de guerre, désabusé par la situation au Liban. Il est très critique aussi à l’égard de l’Eglise et des prêtres qu’il dit avoir abandonné les gens. Ce n’est pas vrai de tous en tout cas, vu ce que je vois à Mar Doumit. Il reproche, non sans raison sans doute, la richesse opulente des moines par exemple. C’est le poids de l’histoire, mais ça ne justifie pas tout en effet. O Seigneur prends pitié de ton Église. Rends-nous serviteurs vraiment. Après-midi de prière avec les groupes saint François d’Assise et des visiteurs des malades. Quelques visites encore. Soirée évangélique paroissiale : commentaire de Luc 15 par Abou à Tony avec une trentaine de paroissiens de tous âges. C’est beau. À la fin, Wissam vient me partager son témoignage, il est catéchumène, anciennement chiite. Il aime Jésus, qui lui a dit un seul mot, me dit-il, qui a suffi à le convertir. Mais il ne me dit pas quel mot. Sa fiancée se sent affermie dans sa foi et dit sa fierté d’être dans cette paroisse. Le soir nous dînons avec l’équipe des visiteurs des malades. Pantagruélique sans viande ni fromage, carême oblige. Belle vie paroissiale dans ce quartier pauvre !

Jeudi 17

Je célèbre la messe dans notre rite latin, en français, chez les sœurs de la charité de Besançon. Puis petit déjeuner frugal. Grande joie fraternelle. Depuis le covid – 2 ans – il n’y avait pas eu la messe chez elles. Conversation sur la crise politique… le Hezbollah semble responsable de tous les maux du Liban, mais c’est toute la classe politique, chrétiens compris, qui est pourrie, d’après elles.

Puis soeur Yolla – responsable diocésaine du jumelage – me prend à la paroisse avec son chauffeur et la Peugeot 301 – jamais vue en France. Je passe une bonne partie de la journée avec elle dans leur immense école des saints cœurs, congrégation maronite née au Liban. Impressionnante infrastructure en taille et en équipement dernier cri. L’éducation est le trésor du Liban, ils en sont fiers et ont raison. C’est l’école des riches ici. En face toute une colline abrite la cité éducative des frères des écoles chrétiennes de saint Jean-Baptiste de la Salle. Une autre colline a vu se lever un bâtiment flambant neuf construit par les chaldéens d’Irak qui envisageaient d’émigrer massivement au Liban à cause de daech. Le bâtiment reste vide et inutilisé. L’Orient où se côtoient tous les excès en richesse et en pauvreté, même dans l’Eglise… Repas avec les 5 sœurs des saints cœurs, où elles étaient 15 autrefois. Avec un autre Abouna Tony, l’aumônier grec-catholique de l’école avec qui j’assisterai à la messe de la saint Joseph anticipée, patron de l’école. Beau temps de prière dans une classe de petits. Eveil à la foi bien rôdé. C’est toujours touchant de voir les enfants prier de tout leur cœur. Le soir belle rencontre avec un autre groupe de grands jeunes. Ils ont l’évangile dans le sang et l’Eglise dans le cœur !

Vendredi 18

Messe avec Abouna Pierre. Le matin nous distribuons 500 repas aux pauvres qui s’agglutinent à la porte du salon paroissial. Chaque vendredi la « cuisine des prêtres » fournit ces repas à l’aide de bienfaiteurs et des prêtres qui se relaient à l’évêché pour préparer les plats. Puis nous poursuivons dans la cuisine en préparant le manouché pour le lendemain, fête des mamans de la paroisse. 30 kg de tomates et 20 kg d’oignons achetés le matin même au marché au gros avec Soozy et Norma. Soozy, la femme du curé, qu’on appelle khouryé, féminin de khoury qui signifie curé, est vraiment très brave. Elle connaît quasiment chaque pauvre par son nom et sait de combien de portions de repas il a besoin. Elle préside de mains de maître à la distribution. Je déjeune ensuite avec Abouna Tony, puis sieste. L’après-midi nous rendons visite aux sœurs de Notre Dame des Apôtres, fondées par le père Augustin Planque à Lyon. Comme beaucoup de congrégations enseignantes, elles ont un énorme établissement ultra équipé, avec une impressionnante flotte de bus, etc… mais elles sont frappées par la crise économique et leurs effectifs se réduisent. Surtout elles n’ont plus de vocations et vieillissent et s’africanisent. Quel avenir pour les grandes écoles catholiques au Liban ?

En fin d’après-midi 17h-19h c’est le chemin de croix, héritage des latins dans la piété maronite, puis le long office de « vêpres » qui déjà prépare la résurrection. Beau ! Du monde, de la ferveur qui chante à tue-tête. Magnifique ! Puis se rencontrent plusieurs groupes paroissiaux : le mouvement foi et lumière animé entre autres par le frère Bertrand des petits frères de Jésus, un groupe d’aumônerie des jeunes, le groupe ittihad-l’unité- fondé il y a une dizaine d’années par une paroissienne qui réunit quelques jeunes, familles et adultes et qui a essaimé jusqu’en Californie ou au Canada, groupe de prière pour l’unité des chrétiens qui me fait penser à Communion et libération ou aux focolari. Ce sont des gens d’alentour, mais pas nécessairement de la paroisse, ils sont d’ailleurs plus riches que ceux que j’ai vus jusqu’à présent. Puis je suis emmené chez Abouna Pierre avec tous ceux qui étaient venus à Meyzieu en 2019. Joyeuses retrouvailles autour d’un bon narghilé ! Abouna Pierre habite un bel appartement dans un autre quartier avec Eliane son épouse et leur petite fille Maria. Les jeunes font plaisir à voir, toujours pleins de foi et de joie exubérante. Mais ils n’ont qu’une idée : aller faire leur vie ailleurs tant l’avenir est bouché ici. Et déjà le présent : voilà des jeunes éduqués, diplômés, qui travaillent et qui gagnent 30 € par mois, à peine de quoi payer plus d’un plein d’essence. Pas d’électricité la majeure partie du temps, les besoins les plus élémentaires tels une bonne douche chaude ne sont même pas satisfaits ; j’en sais quelque chose depuis une semaine. Incroyable régression de tout un pays ! Ils ont participé, Abouna Pierre en tête, aux énormes manifestations d’après l’explosion dont ils sont encore traumatisés, ils sont complètement désabusés de la corruption et de l’inertie absolue de l’Etat. Et pourtant ils sont viscéralement libanais et fiers de l’être. Elie, par exemple doit, la mort dans l’âme, émigrer au Congo où il a trouvé un travail plus rémunérateur pour subvenir aux besoins de ses parents. Mais c’est un déchirement forcé par la crise sans issue dans laquelle il est plongé. Que leur joie de vivre les vivifie encore ! Seigneur prends pitié du Liban.

Samedi 19 et dimanche 20

Je traîne un peu le dimanche matin. Il y a déjà une messe à 7h, puis à 9h, puis à 11h. Et une autre à 10h30 dans une chapelle aménagée dans une ancienne école de l’autre côté du quartier. C’est là que je vais. Il y aura une dernière messe à Mar Doumit en fin d’après-midi. C’est vraiment un christianisme de chrétienté ici encore. Pas comme chez nous. À midi, nous accueillons le corps d’une défunte dont les obsèques seront célébrées à 14h. Hier, samedi, nous avions rendu visite à la famille en deuil. Belle coutume encore vivace ici de visiter les familles en deuil en disant en entrant dans la maison : al Messiah kam ! Et de s’entendre répondre : Khatan kam ! Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Digne et noble deuil chrétien et social. Hier d’ailleurs, il y avait d’abord eu la belle fête des mamans avec grand’messe et distribution des manouchés au zattar et kichik préparés la veille et apprêtés le matin même. Belle ruche paroissiale. Bon bien sûr les pauvres ne sont pas plus vertueux que les autres, voire moins, et certains se sont rués sur le buffet comme des chiens sur un os, ce qui alimentera les conversations de ces dames. Gros gâteau servi aux convives en l’honneur des mamans.

Le soir nous avons rejoint la messe présidée par l’évêque d’Antelias, monseigneur Antoine, dans l’autre paroisse de Borj Hammoud – saint Joseph. Chaleur orientale de l’accueil même en pleine liturgie. Et l’évêque de me saluer et de m’accueillir dans le chœur avant de reprendre le cours de la prière. Puis de saluer à la fin de la messe chacun qui passe devant lui en un long défilé filial. Bon pasteur. Puis dîner en famille chez les Khoury, nom très commun, qui avaient reçu la famille Rios lors de la dernière délégation Majolane au Liban en mai 2018.

Dimanche midi, je pars assez précipitamment pour ne pas rater la voiture qui monte à saint Antoine de Khozaya, à l’entrée de la kadisha, monastère maronite accroché à la montagne où je vais passer quelques jours d’heureuse retraite spirituelle.

Vendredi 25 mars

C’est le jour du départ. Hier soir j’ai dîné avec monseigneur Samir, évêque maronite de Damas, ancien curé de Mar Doumit, fondateur du jumelage avec Gisèle Sanchez à Meyzieu.

Derniers au-revoir avec les uns les autres. Vraie fraternité à cultiver. Vivement qu’on y aille en paroisse.

Dimanche midi, je pars assez précipitamment pour ne pas rater la voiture qui monte à saint Antoine de Khozaya, à l’entrée de la kadisha, monastère maronite accroché à la montagne où je vais passer quelques jours d’heureuse retraite spirituelle.